Hybride pop culture
 © Adam Driver et John David Washington dans BlacKkKlansman, Universal Pictures
La question de la représentation (et par là même de la dénonciation) du racisme est une thématique qui traverse l’histoire du cinéma et plus globalement l’histoire des arts visuels. Le langage par l’image questionne le sujet de la transmission idéologique, et du regard que pose son utilisateur sur le monde et son fonctionnement. L’essor contemporain du clip met depuis peu celui-ci au centre de cette réflexion, qui découle d’années de représentation et de questionnement au sein du cinéma (engagé ou non) par rapport à la question du racisme, de la haine, du rejet, et des luttes sociales.
Rag Time de Milos Forman en 1981, American History X de Tony Kaye en 1998, ou encore plus récemment Get Out de Jordan Peele en 2017… On ne compte plus le nombre de films qui posent la problématique des rapports entre racisme et héritage culturel aux États-Unis. C’est également le cas du nouveau film de Spike Lee, BlacKkKlansman, sorti le 10 août 2018, qui retrace le parcours atypique d’un jeune policier afro-américain s’infiltrant au sein d’une cellule locale du Klu Klux Klan dans les années 70. John David Washington y campe  avec humour aux cotés d’Adam Driver un personnage entre deux mondes, qui progresse au fil du film dans sa réflexion autour de l’exclusion et des discriminations, fréquentant à la fois une jeune militante anti-raciste, des policiers distants ou haineux, et des extrémiste blancs suprémacistes d’une bêtise incommensurable.
Le film a connu très vite un succès critique et public enthousiaste. Grand Prix au festival de Cannes, il a séduit par son traitement à la fois sincère et décomplexé des thématiques anti-racistes. Inspiré d’une histoire vraie, le long métrage se revendique à la fois comme un geste politique sincère et un divertissement pur. En utilisant le grotesque et la caricature, BlacKkKlansman parvient à trouver un équilibre délicat entre humour et émotion, qui rend parfois sa narration et son rythme incertains, mais qui trace tout de même un geste artistique politique, original et honnête.
Le sujet de l’histoire afro-américaine aux États-Unis et du militantisme anti-raciste traverse l’œuvre de Spike Lee. Après une peinture sans concession de l’engagement et des luttes de pouvoir dans son Malcom X en 1992 ou le ton plus mordant de son Jungle Fever en 1991, il trouve avec BlacKkKlansman un terrain de jeu propice à l’expérimentation qui lui permet un regard à la fois bienveillant et critique sur le militantisme et les luttes sociales. Comme une conclusion en forme de coup de poing, les dernières images du film sortent de la fiction pour nous montrer des extraits des émeutes en marge des manifestations de Charlottesville en 2017, qui ont conduit à la mort d’une jeune militante anti-raciste du nom de Heather Hayer, à laquelle le film rend explicitement hommage. ​​​​​​​
 ©  John David Washington dans BlacKkKlansman, Universal Pictures
Dans le contexte actuel de l’Amérique de Trump, la question de la violence et de l’exclusion est devenue un enjeu majeur de la création contemporaine nord-américaine. Avec l’essor du mouvement Black Lives Matter, et les scandales toujours plus importants autour des violences et des discriminations policières, de nombreux artistes interrogent  aujourd’hui le sujet du racisme et notamment du racisme ordinaire implanté dans la culture Nord Américaine. Une thématique dont s’est également emparée l’industrie musicale, et qui est parfaitement illustrée dans le récent clip de Childish Gambino, This is America.
Ce qu’il est intéressant de constater, c’est que malgré l’urgence d’un contexte similaire, les deux œuvres se différencient fondamentalement non pas à cause des outils visuels qu’elles utilisent, mais par le ton et le parti pris qu’elles observent par rapport à la façon de traiter cette actualité brulante.
« Ce que Gambino a rassemblé est une véritable image de l'Amérique, où beaucoup d'entre nous arrivent à danser, à chanter, à rire et à créer, écrit Isaac Bailey pour CNN. Pendant ce temps, les autres sont largement ignorés et pris au piège, luttant et parfois mourant dans une mer de laideur que beaucoup d'entre nous préfèrent ne pas reconnaître, sachant que cela ruinerait les jolies photos sur lesquelles nous préférerions nous concentrer. »​​​​​​​​​​​​​​
Le clip de Childish Gambino est sombre et sans concession, peinture d’une Amérique violente et outrancière. Son personnage principal, un pantin désarticulé dansant au milieu du béton et des carcasses de voitures, alterne entre numéros de charmes et meurtres de sang froid, avant de finir poursuivi par des policiers flous, manifestement blancs.
© Childish Gambino - This Is America (2018)​​​​​​​ ​​​​​​​
Cette œuvre audiovisuelle prend le parti pris d’une violence à vue et frontale qui personnifie la figure du masque à travers son personnage principal. Tout ce qui est net dans la vidéo n’est qu’apparence ou massacre; tout le reste (émeutes, soulèvement…) est flou, comme l’impossibilité ou l’invisibilisation d’un commun, d’une communion. Danse et violence s’entremêle dans une chorégraphie qui provoque un malaise certain chez le spectateur/voyeur, coincé entre beauté et coups qui se succèdent sans respiration. Le traitement du racisme chez Childish Gambino est brutal; il est plus nuancé chez Spike Lee, et la comparaison de ces deux œuvres pose la question de la pertinence du geste politique à travers l’artistique lorsqu’on le confronte à la réalité du contexte contemporain nord-américain.
Le musicien et réalisateur aux multiples casquettes afro-amériacin Boots Riley à ainsi déclaré de Blackkklansmann dans une critique rédigé sur Twitter : 
« Écoutez, on se débat avec le racisme, pas juste contre la terreur physique et des attitudes d’individus racistes, mais contre ce que le racisme veut dire en termes de discriminations salariales, d’accès au logement, à la santé et autres enjeux qui affectent notre qualité de vie : des questions très matérielles. Pour ce qui est des attaques physiques et de la terreur engendrées par le racisme ou sous-tendues par le racisme et les doctrines racistes, les personnes de couleur en font l’expérience quotidienne avant tout dans leurs interactions avec la police. Et pas seulement avec les flics blancs, mais aussi avec les flics noirs. Alors, que Spike Lee nous sorte un film basé sur une histoire qui fait passer un policier noir et ses collègues pour des alliés dans la lutte contre le racisme est vraiment décevant, pour le dire très gentiment. »​​​​​​​
Mettre en perspective le racisme d’aujourd’hui avec celui d’hier, tout en portant un regard nouveau sur «la place des noirs au sein du cinéma», était objectif assumé par Spike Lee. Mais à trop se pencher sur la construction d’un passé fantasmé, en reprenant explicitement les codes esthétiques des années 1970 comme structure de son film, il passe peut être à côté de l’efficacité didactique mise en place par d’autre artistes, comme Kendrick Lamar avec son clip Element ou encore une fois Childish Gambino et son This is America. Car ce que dénoncent ces deux interprètes, c’est bien le racisme ordinaire que décrit Boots Riley, racisme du quotidien omniprésent et dépassant la question des classes sociales, que Childish Gambino le montre dans la joie et dans la rage, dans la violence et la douceur, profondément ancré dans la modernité de notre société symbolisée par le béton et les carcasses de voitures, ou par la place que trouve le personnage principal, dans une forme d’exubération de la société du spectacle nord américaine. 
Entre sous-représentation et image magnifiée du self-made man, la place des afro-américains dans la culture de l’image aux États-Unis aujourd’hui pose question. Et c’est peut être à travers des médiums moins institutionnalisés tel que le clip vidéo que ce cheminement intellectuel peut trouver son sens, devenant un terrain d’expérimentation et d’expression adapté à une parole émergente qui dénonce avec violence et sans concession des discriminations à la fois nouvelles et profondément ancrées historiquement, et qui semblent malheureusement ne pas trouver de fin.
Valentine Montesino
SOURCES